Au cours de l’année écoulée, les États-Unis et l’Occident ont uni leurs forces pour imposer une série de sanctions sévères liées au conflit ukrainien, visant à affaiblir le potentiel économique de la Russie. Ils dépendent néanmoins toujours largement de la Russie pour leur approvisionnement en combustible essentiel à la relance de l’énergie nucléaire.
L'énergie nucléaire représentait autrefois près de 25 % de l'approvisionnement en électricité de l'Europe et 20 % de l'électricité américaine, mais au cours des dernières décennies, elle a été progressivement abandonnée car l'exploitation des réacteurs nucléaires est trop coûteuse et comporte de nombreux risques potentiels. Cependant, l’imposition d’une série de sanctions à la Russie liées au conflit ukrainien, ainsi qu’au changement climatique, ont plongé l’Occident dans une grave crise énergétique, les obligeant à trouver des approvisionnements énergétiques stables pour y faire face. L’énergie nucléaire est considérée comme une solution prometteuse, efficace et peu coûteuse pour résoudre ce problème.
Ironiquement, la Russie possède ce que désirent de nombreux autres pays : du combustible nucléaire et de l’uranium enrichi. Il s’agit du combustible brut vital dont les États-Unis et l’Occident ont désespérément besoin pour relancer leur énergie nucléaire.
Centrale nucléaire de Tihange, Belgique
Grande dépendance
L’enrichissement de l’uranium est un processus hautement spécialisé et ne peut être réalisé que dans une poignée de pays comme la Russie, la France, la Chine et le Canada. Parmi ces pays, la Russie possède les plus grandes réserves d’uranium au monde, dispose de la plus grande infrastructure nécessaire au processus de conversion et excelle dans la conversion de l’uranium en uranium enrichi, qui peut ensuite être utilisé comme combustible nucléaire. La Russie produit donc du combustible nucléaire non seulement pour répondre à ses besoins nationaux mais également pour l’exportation.
Le combustible nucléaire est l’un des rares produits russes à ne pas être soumis aux sanctions liées au conflit en Ukraine. En 1993, les États-Unis et la Russie ont signé un accord appelé programme « Des mégatonnes aux mégawatts » pour réduire le nombre d'ogives nucléaires de l'ère soviétique et aider Moscou à gagner de l'argent. La Russie a ainsi transformé 500 tonnes d’uranium de qualité militaire en 15 000 tonnes d’uranium faiblement enrichi, puis l’a vendu aux États-Unis comme combustible nucléaire. Ce programme a contribué à réduire la capacité d’armement nucléaire de la Russie de plus de 20 000 ogives et a fourni aux États-Unis le combustible nécessaire pour créer une forme d’énergie plus propre et moins chère. Ce programme est considéré comme le programme de désarmement le plus réussi au monde.
Cependant, le programme a rendu l’uranium russe si bon marché que les autres fournisseurs ont du mal à rivaliser, forçant les sociétés américaines et européennes de combustible nucléaire à réduire leurs activités. La Russie est devenue le premier fournisseur mondial d’uranium enrichi, représentant près de la moitié de l’approvisionnement mondial. Avant la fin du programme en 2013, les fournisseurs russes ont signé de nouveaux contrats avec des sociétés privées américaines pour fournir du combustible en dehors du programme de gouvernement à gouvernement, par l'intermédiaire de la société d'énergie nucléaire Rosatom. Il s’agit d’un groupe créé en 2007, regroupant différentes agences et organisations de l’industrie nucléaire russe.
Des camions transportant des réservoirs d'uranium russes à Dunkerque, en France
Le magazine Newsweek a cité le 11 mai M. Steven Nesbit, ancien président de l'American Nuclear Association, déclarant que même si les États-Unis peuvent être autosuffisants dans la fabrication et le traitement de l'uranium, leur capacité à convertir et à enrichir l'uranium est une autre affaire. La société russe Rosatom est actuellement un important fournisseur de combustible nucléaire, occupant une part significative du marché mondial. En 2022, Rosatom a fourni jusqu'à un quart du combustible nucléaire américain, pour une valeur pouvant atteindre 1 milliard de dollars.
Aujourd’hui, dans le contexte de la crise énergétique actuelle et d’un changement climatique de plus en plus complexe, le besoin d’une énergie propre et bon marché est plus urgent que jamais. La pression pour augmenter la capacité d'enrichissement de l'uranium s'accroît, notamment dans le contexte où les investisseurs américains et européens promeuvent une nouvelle génération de réacteurs nucléaires, considérés comme plus sûrs et plus respectueux de l'environnement, mais qui nécessitent un combustible spécial, dont le russe Rosatom est actuellement le seul fournisseur.
Le renouveau de l’énergie nucléaire
Le combustible nucléaire connaît un regain d’intérêt alors que le monde est aux prises avec les impacts et les préoccupations croissantes du changement climatique et les répercussions massives des bouleversements géopolitiques mondiaux. L'énergie nucléaire ne produit pas d'émissions et constitue la deuxième plus grande source d'électricité à faible émission de carbone au monde après l'hydroélectricité, selon le Bureau de l'énergie nucléaire du ministère américain de l'Énergie.
L'énergie nucléaire fait son retour avec la construction de nouveaux réacteurs aux États-Unis et en Europe, selon le Wall Street Journal .
Aux États-Unis, selon une récente enquête menée par la société d’analyse et de conseil Gallup, les Américains soutiennent désormais la technologie de l’énergie nucléaire plus que jamais au cours de la dernière décennie. L'acquisition de Westinghouse (qui avait changé de mains pendant de nombreuses années en raison des fluctuations du marché et des accidents nucléaires de Tchernobyl ou de Fukushima) par un groupe d'investisseurs américains pour 8 milliards de dollars en octobre 2022 est considérée comme un « pari » sur la relance de l'énergie nucléaire. Westinghouse a récemment annoncé son intention de construire une série de réacteurs nucléaires à grande échelle, pour un coût d'environ 1 milliard de dollars chacun.
Réacteurs en construction par Westinghouse en Géorgie, aux États-Unis, en 2017
En mars, un réacteur nucléaire en Géorgie a également fait ses premiers pas vers la production commerciale d’électricité. Un autre réacteur de la centrale devrait être mis en service l’année prochaine.
Pendant ce temps, M. Jeff Navin, directeur des affaires extérieures de TerraPower - la société qui prévoit de construire le premier réacteur dans le Wyoming, a déclaré qu'ils avaient besoin de combustible nucléaire russe pour activer le réacteur immédiatement ou qu'ils devraient attendre une « solution miracle » d'un autre pays. M. Navin a souligné que les États-Unis payaient le prix de nombreuses années de négligence dans la construction d’une chaîne nationale d’approvisionnement en combustible nucléaire.
Actuellement, les États-Unis disposent de deux installations de production d’uranium, dont l’une appartient à la société Urenco basée à Eunice, au Nouveau-Mexique. Urenco a déclaré qu'elle dépensait environ 200 millions de dollars pour augmenter sa capacité et qu'elle pourrait dépenser davantage si les États-Unis bloquaient les approvisionnements en uranium en provenance de Russie. Ce dont Urenco a besoin, c’est d’une assurance ferme de la part du gouvernement quant à la demande en uranium. Kirk Schnoebelen, directeur des ventes d'Urenco, craint que dans les prochaines années, l'uranium russe bon marché inonde le marché mondial, provoquant une chute des prix et mettant l'entreprise dans une situation désespérée. Ils ont vécu une expérience douloureuse dans les années 1990 en raison de l'impact du programme « Megaton to Megawatt », de sorte que le sombre souvenir fait que le conseil d'administration d'Urenco hésite encore à investir des milliards de dollars dans ce domaine.
Actuellement, le projet de loi bipartisan américain vise également à interdire l’utilisation de l’uranium russe, à constituer une réserve nationale d’uranium, à renforcer la capacité de production nationale et à ajouter l’uranium à la liste des minéraux critiques. Cependant, M. Patrick Fragman, PDG de Westinghouse, a déclaré que le projet de loi arrivait trop tard et que les pays auraient dû surveiller de près ce qui se passait dans l'industrie nucléaire et auraient dû donner des avertissements lorsqu'une série de centrales nucléaires occidentales ont fermé.
La Finlande lance une production régulière d'électricité dans le plus grand réacteur nucléaire d'Europe
En Europe, bien que de nombreuses centrales nucléaires aient été fermées ces dernières années, de nombreuses nouvelles ouvrent en Allemagne et en Finlande. En avril, la Finlande a démarré la production régulière d'électricité dans le plus grand réacteur nucléaire d'Europe, avec l'ambition de fournir un tiers de l'électricité du pays. En novembre dernier, la Pologne a également choisi l'entreprise américaine Westinghouse pour construire sa première centrale nucléaire, qui devrait être composée de trois réacteurs et coûter environ 20 milliards de dollars.
Les experts du secteur affirment qu’il existe un intérêt croissant pour la construction de nouveaux réacteurs, notamment en Europe de l’Est. Il y aura probablement un marché pour de nouveaux réacteurs avec des modules plus petits que d’habitude.
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