Non seulement le peuple haïtien est confronté à l’instabilité politique et à la pauvreté, mais il est également sérieusement menacé par la prolifération des gangs criminels… rendant la crise humanitaire dans ce pays des Caraïbes de plus en plus grave.
Depuis le début du XXe siècle, Haïti est en proie à des troubles politiques, avec des manifestations sans fin. (Source : AFP) |
En tant que pays de la mer des Caraïbes, en Amérique du Sud, Haïti a une superficie de 27 650 kilomètres carrés avec une population en 2023 de seulement près de 12 millions de personnes et est le pays le plus pauvre du monde. Le PIB par habitant du pays des Caraïbes n'est que de 1 745 dollars, ce qui le classe au 163e rang sur 191 pays selon l'indice de développement humain en 2022.
Instabilité constante
Depuis le début du XXe siècle, Haïti est en proie à des troubles politiques. En 1957, Françoise Duvalier, après avoir été élue présidente, élimine tous les partis d'opposition et modifie la Constitution pour pouvoir occuper son siège à vie. En 1967, à la mort de Françoise Duvalier, son fils Jean Claude Duvalier prend la relève. Mais en 1986, l’armée haïtienne avait renversé Jean Claude Duvalier.
En 1990, Haïti organise des élections générales libres, Jean Bertrand Aristide est élu président mais après seulement un an, il est également renversé par l'armée. Sous couvert de maintien de la paix, les États-Unis ont envoyé des troupes en Haïti en 1994, ramenant Aristide au pouvoir, mais début 2004, Aristide a été de nouveau renversé.
Après de nombreux bouleversements, en 2016, M. Jovenel Moïse devient président et est assassiné à son domicile le 7 juillet 2021. Depuis lors, le pays n’a pas été en mesure d’organiser de nouvelles élections présidentielles et le gouvernement actuel est toujours dirigé par le Premier ministre par intérim Ariel Henry.
Avec le soutien international, Ariel Henry est Premier ministre par intérim depuis juillet 2021, mais beaucoup en Haïti le voient comme le visage d’un système de corruption politique. Le jour de la fête nationale d’Haïti (1er janvier 2022), M. Ariel Henry lui-même a également failli être assassiné par des bandes criminelles. De nombreux groupes criminels d’opposition dans le pays augmentent également la pression pour exiger sa démission.
Les émeutes ont éclaté alors que le Premier ministre par intérim Ariel Henry était au Kenya pour faire pression en faveur de l'envoi en Haïti d'une force de sécurité multinationale dirigée par le Kenya. Certaines sources ont indiqué que M. Henry avait quitté le Kenya le 2 février mais n’était pas réapparu en Haïti. Actuellement, le ministre de l'Économie d'Haïti, Patrick Michel Boivert, occupe le poste de Premier ministre par intérim et est celui qui a signé l'état d'urgence et l'ordre de couvre-feu le 3 mars.
En vertu de l'accord politique signé après l'assassinat de Moïse, Haïti organisera des élections et le Premier ministre Henry transférera le pouvoir au dirigeant élu d'ici le 7 février 2024. Cependant, M. Henry a reporté les élections indéfiniment, invoquant un grave tremblement de terre en août 2021 et l’influence croissante de gangs criminels lourdement armés. La Communauté des Caraïbes (CARICOM) a déclaré qu'après un sommet régional en Guyane le 28 février, le Premier ministre Henry s'est engagé à organiser des élections générales avant le 31 août 2025.
Groupe de sauvetage de prisonniers
Les troubles politiques persistants dans ce pays d'Amérique du Sud constituent un terreau fertile pour la prospérité des gangs criminels, tandis que l'armée haïtienne est actuellement très faible, avec seulement environ 5 000 soldats.
Plus récemment, dans la nuit du 2 mars jusqu’au petit matin du 3 mars (heure locale), des bandes criminelles en Haïti ont attaqué la prison nationale de Croix-des-Bouquets, tuant des dizaines de personnes, dont des criminels et des gardiens de prison. L'attaque a également créé une opportunité favorable pour que 3 597 prisonniers sur les quelque 4 000 criminels détenus dans cette prison puissent s'évader avec succès.
Cette évasion de prison sans précédent a poussé le gouvernement haïtien à décréter l'état d'urgence et un couvre-feu de 18 heures à 5 heures du matin jusqu'au 6 mars, avec possibilité de prolongation en fonction de la situation.
L’attaque a choqué même les Haïtiens habitués à vivre sous des menaces sécuritaires et des violences constantes. Selon des chiffres non officiels, la Prison nationale d'Haïti abrite non seulement les criminels les plus notoires d'Haïti, mais également des criminels politiques et de puissants « parrains ». La prison abrite même plusieurs détenus colombiens accusés d'avoir assassiné le président Jovenel Moïse en 2021.
Patrouille de police haïtienne dans la capitale Port-au-Prince après une évasion de près de 3 600 prisonniers. (Source : AFP) |
Réaction internationale
L'évasion réussie de milliers de prisonniers de haut rang a rendu la situation en Haïti encore plus instable et imprévisible, forçant de nombreuses missions diplomatiques étrangères dans la capitale Port-au-Prince à fermer. L'ambassade des États-Unis a immédiatement émis une alerte de sécurité, demandant à ses citoyens de quitter Haïti « dès que possible compte tenu de la situation sécuritaire actuelle et des défis en matière d'infrastructures » dès que les conditions le permettront.
Le même jour, l'ambassade de France a également annoncé la suspension temporaire des services de visas et administratifs... Plus tard, les ambassades du Canada et d'Espagne ont également annoncé la fermeture temporaire et l'annulation de tous les travaux pour des raisons de sécurité. L'ambassade d'Espagne a également émis un avertissement demandant à tous les citoyens espagnols en Haïti de limiter leurs déplacements et de stocker des biens essentiels.
L’insécurité et la destruction des infrastructures ont perturbé les communications et entraîné la suspension de dizaines de vols vers la nation des Caraïbes. American Airlines et JetBlue ont suspendu leurs vols vers Haïti, tandis que Spirit Airlines a annoncé qu'elle cesserait de voler vers la capitale Port-au-Prince.
Face à l’escalade des troubles, qui risquent même de dégénérer en violences et de renverser le gouvernement en Haïti, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a exprimé, le 4 mars, sa profonde inquiétude face à la détérioration rapide de la situation sécuritaire dans le pays. S'adressant à la presse, le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Stéphane Dujarric, a déclaré : « Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, est très préoccupé par la situation dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, qui connaît une nouvelle vague de violence. » Le chef de l'ONU a réaffirmé la nécessité d'une action urgente, appelant la communauté internationale à continuer de soutenir et de financer une mission multinationale de sécurité parrainée par l'ONU en Haïti.
Le 4 mars, l’Organisation des États américains (OEA) a également publié une déclaration exprimant sa « profonde préoccupation » face à la situation sécuritaire en Haïti et appelant à promouvoir des efforts de coopération au sein des Nations Unies pour rétablir la sécurité dans ce pays chroniquement instable.
Un terrain fertile pour les gangs
Après l'assassinat réussi du président Jovenel Moïse qui a conduit à la désintégration de l'armée haïtienne, des dizaines de milliers de membres armés de plus de 200 bandes criminelles ont afflué dans le nord de la capitale Port-au-Prince, prenant le contrôle de la zone. Parmi les gangs criminels notoires de Port-au-Prince, le plus important est le gang 400 Mawozo dirigé par Mawozo, suivi du gang G-9 dirigé par l'ancien policier Jimmy « Bar Grill » Chérizier, du gang G-Pep dirigé par Gabriel Jean, du gang de South Brooklyn dirigé par Ti Gabriel...
Chaque groupe compte plusieurs milliers d'hommes armés et possède de nombreux types d'armes modernes comme celles de l'armée régulière. Alors que le groupe des 5 Secondes est désormais censé contrôler le bâtiment de la Cour suprême, le G-9 et le G-Pep dominent Cité Soleil, un bidonville de Port-au-Prince, connu comme la « capitale de la violence ».
Dans leurs zones de contrôle, le G-9 et le G-Pep recrutent des jeunes pauvres et sans instruction et les arment. Un rapport du Comité des droits de l’homme des Nations Unies indique qu’en seulement 10 jours (du 8 au 17 juillet 2022), 209 personnes ont été tuées et 139 blessées à Cité Soleil. Dans ce vide de pouvoir, les gangs peuvent agir librement sans craindre de représailles judiciaires.
Selon les médias régionaux, les chefs de gangs consolident leur contrôle des zones résidentielles à l'approche de l'élection présidentielle pour les aider à forcer les gens à voter pour certains candidats afin d'avoir un atout de négociation plus tard.
Un soldat américain (à gauche) et un Haïtien déchargent des munitions d'un camion en 1994. (Source : VCG) |
Depuis juin 2022, les neuf plus grands gangs opérant dans la capitale Port-au-Prince ont formé une alliance dans le but d'unifier leurs opérations armées. Quant aux autres petits gangs, s’ils n’acceptent pas de se joindre à nous, ils seront détruits. À cette époque, l'alliance des gangs, en plus de contrôler la capitale Port-au-Prince et ses environs, avait également établi une présence dans des villes comme Cap-Haïtien, Gonaïves, Les Cayes, Jérémie et Jacmel, ainsi que dans les ports maritimes reliés aux routes principales. Alors que la violence s'aggrave, le blocage de l'autoroute 2, qui relie le port de Port-au-Prince au sud, empêche les organisations humanitaires d'atteindre les victimes qui ont besoin de nourriture, de médicaments et de fournitures essentielles.
Après avoir établi une base autour de Croix-de-Bouquets, le groupe 400 Mawozo est soudainement devenu célèbre lorsqu'il a kidnappé 17 missionnaires chrétiens américains et canadiens en juin 2021. De plus, les 400 Mawozo ont également uni leurs forces à celles de G-Pep pour former une force écrasante dans un contexte où les politiciens et les élites en Haïti comptent depuis longtemps sur les gangs pour leur pouvoir clandestin.
Quant à la Police nationale haïtienne, la seule agence étatique chargée de lutter contre la violence criminelle, elle compte 12 unités spécialisées. Créée en 1995 au moment où le président Aristide a démantelé les groupes armés, cette force, de 2004 à 2017, avec la force de maintien de la paix des Nations Unies (MINUSTAH), a efficacement réduit la criminalité violente dans les points chauds autour de la capitale Port-au-Prince. Cependant, ils n’ont pas réussi à détruire les gangs, malgré des dizaines de millions de dollars de soutien reçus au cours des 25 dernières années.
Selon Latin America Today, un représentant de la police haïtienne a déclaré qu'après l'assassinat du président Moïse, ils ont arrêté plus de 40 suspects, mais aucun d'entre eux n'a été traduit en justice. Cela prouve qu’il y a des choses plus puissantes que la justice. En mai 2023, le directeur de la Police nationale d’Haïti a admis que plus de 1 000 policiers avaient quitté leur emploi en raison de conditions de vie précaires. Beaucoup de choses cruelles se produisent dans l’indifférence de la société parce que les gens sont trop familiers avec la violence.
Les Nations Unies estiment que d’ici 2023, quelque 300 gangs contrôleront désormais 80 % de la capitale haïtienne et seront responsables de 83 % de tous les meurtres et blessures. Rien qu’en 2023, Haïti a enregistré plus de 8 400 victimes directes de la violence des gangs, soit une augmentation de 122 % par rapport à l’année précédente, principalement concentrées dans la capitale Port-au-Prince.
Selon les données publiées par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), au cours des six premiers mois de 2023 seulement, les bandes criminelles en Haïti ont procédé à près de 300 enlèvements de mineurs et de femmes, soit l'équivalent du nombre de victimes enregistrées en 2022 et jusqu'à trois fois plus qu'en 2021.
Effondrement économique et aggravation de la crise humanitaire
La violence généralisée a provoqué l'effondrement de l'économie haïtienne, ainsi que des systèmes d'éducation et de santé. Selon les chiffres du gouvernement, rien qu'à Port-au-Prince, ces derniers mois, un demi-million d'enfants ont été déscolarisés, 1 700 écoles ont été fermées et plus de 500 écoles sont devenues des bases pour les gangs. De nombreuses autres écoles sont des refuges pour les familles qui ont perdu leur maison. De nombreux étudiants rejoignent ou sont contraints de rejoindre des gangs, certains dès l’âge de 13 ans. L’escalade de la violence a également forcé près de 128 000 personnes à fuir leurs foyers, ajoutant à la vague de déplacements dans la région ces derniers mois.
Selon les estimations des Nations Unies, l’escalade de la violence en Haïti a coûté la vie à plus de 1 400 personnes depuis le début de 2023.
Haïti est à court de nourriture et de carburant en raison du blocus du port de Varreux, dans la capitale Port-au-Prince, par une coalition de gangs. (Source : le projet Borgen) |
Les statistiques de l'UNICEF montrent qu'environ 5,2 millions de personnes, soit près de la moitié de la population d'Haïti, dépendent de l'aide humanitaire, dont près de 3 millions de mineurs. Le système de santé local de la nation caribéenne est « au bord de l’effondrement », les écoles sont attaquées et les habitants sont régulièrement terrorisés. Selon l’UNICEF, au cours de l’année écoulée, l’activité des gangs armés a augmenté de 30 % le taux de malnutrition aiguë sévère chez les enfants haïtiens. Près d’un quart des enfants de cette nation des Caraïbes souffrent de malnutrition chronique, dont 115 600 à des niveaux mettant leur vie en danger. La situation n'a pas connu de changement positif ces derniers temps, puisque le Programme alimentaire mondial (PAM) a déclaré qu'environ 100 000 Haïtiens ne recevront pas d'aide alimentaire au cours du second semestre 2023 en raison du manque de financement.
Selon le directeur régional du PAM pour les Caraïbes, Jean-Martin Baue, au cours du premier semestre 2023, le plan d'aide du PAM en Haïti n'a reçu qu'environ 16% du total estimé d'environ 121 millions USD pour assurer l'aide à Haïti jusqu'à la fin de cette année. C’est aussi la raison pour laquelle le PAM doit réduire de nombreux articles d’aide, malgré le fait que la vie quotidienne du peuple haïtien est constamment confrontée à des crises humanitaires, avec des vies et des moyens de subsistance perturbés par la violence, l’insécurité, la récession économique et le changement climatique.
Haïti est actuellement à court de nourriture et de carburant en raison du blocus du port de Varreux, dans la capitale Port-au-Prince, par une coalition de gangs. Le gouvernement du Premier ministre par intérim Ariel Henry a appelé les forces internationales à envoyer des troupes en Haïti pour aider à nettoyer le port.
Cependant, de nombreux Haïtiens sont sceptiques quant aux efforts du gouvernement et de la communauté internationale, car les événements passés ont montré que les forces étrangères « apportent plus de problèmes que de solutions », et des années d’efforts internationaux pour renforcer les institutions démocratiques et faire respecter la loi n’ont en grande partie pas réussi à changer quoi que ce soit.
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