Le changement d’approche géopolitique de la France à l’égard de l’OTAN et de l’élargissement de l’UE pourrait remodeler l’avenir de l’Europe.
Le président français Emmanuel Macron s'exprime lors du Forum GlobSec à Bratislava, en Slovaquie, le 31 mai. (Source : AFP/Getty Images) |
En février 2022, après le déclenchement du conflit entre la Russie et l’Ukraine, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé le « Zeitenwende », ou « tournant historique », créant ainsi un fonds de 100 milliards d’euros pour renforcer les capacités de défense. Par rapport à sa prudence antérieure, le changement à 180 degrés de la position de Berlin en matière de défense a choqué l'Europe.
Au même moment, un autre « tournant historique », moins remarqué, se produisait à Paris. Son impact n’est cependant pas moins important. Alors, qu'est-ce que c'est ?
Deux gros ajustements
Ce changement réside dans deux aspects fondamentaux aujourd’hui avec l’Union européenne (UE) et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Tout d’abord, il y a l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Deuxièmement, il s’agit de l’élargissement des frontières de l’UE vers l’Est et le Sud. La France, qui était sceptique quant à l’accueil de nouveaux membres dans l’un ou l’autre des groupes, les a désormais discrètement soutenus tous les deux.
Le 31 mai, s'exprimant à Bratislava (Slovaquie), le président français Emmanuel Macron a déclaré : « Nous avons besoin d'une feuille de route vers l'adhésion de l'Ukraine. » « La question pour nous n’est pas ‘devons-nous nous étendre ?’, mais ‘comment devons-nous le faire ?’ », a affirmé le dirigeant.
Deux mois plus tard, à la veille du sommet de l'OTAN à Vilnius, en Lituanie, le dirigeant français, aux côtés de la Grande-Bretagne, de la Pologne et des États baltes, a plaidé pour une transition rapide en Ukraine une fois le conflit terminé.
Le changement de Paris a surpris de nombreux alliés. Même les États-Unis ont été choqués. L'ancien diplomate américain Daniel Fried a déclaré que « l'administration Biden a été surprise » par ce changement rapide.
En 2008, ce sont la France et l’Allemagne qui ont bloqué l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Il y a quatre ans à peine, M. Macron lui-même déclarait au journal The Economist (Royaume-Uni) que l’OTAN était « en état de mort cérébrale ». Même début 2022, le dirigeant ne s’est préoccupé que rarement de la sécurité de l’Europe en général et de l’Ukraine en particulier.
Mais aujourd’hui, le flanc oriental de l’UE a trouvé, de manière inattendue, un nouveau pilier.
Le deuxième changement apporté par la France à l’élargissement de l’UE est un peu plus subtil. Les parties n'en discuteront qu'au début du mois d'octobre et prendront une décision sur les négociations concernant l'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie en décembre.
Mais dans le contexte actuel, les négociations se déroulent bien, même si le processus nécessitera des changements complexes dans les règles d’organisation de l’UE. Un groupe de travail franco-allemand étudie l'impact de cet ajustement. La Commission européenne rendra compte de l’élargissement en octobre.
Par le passé, la France s’est montrée méfiante à l’égard de l’élargissement de l’UE, le considérant comme une menace à sa politique d’« approfondissement » de l’Union et de construction de son propre projet politique. Au contraire, alors qu’il était encore membre du bloc, Londres appelait souvent à l’élargissement de l’alliance et était sceptique quant à la volonté de Paris de transformer l’Europe en une région consacrée uniquement à la coopération économique. Cela est compréhensible étant donné qu’en 2019, la France elle-même a opposé son veto à l’ouverture de négociations d’adhésion à l’UE avec l’Albanie et la Macédoine du Nord.
Mais les développements dans le conflit russo-ukrainien ont amené M. Emmanuel Macron à reconsidérer cette approche. L’année dernière, les diplomates parisiens ont travaillé sans relâche pour que l’UE accorde à Kiev le statut de candidat. La France a également levé son veto, permettant à l’Albanie et à la Macédoine du Nord d’entamer des négociations avec l’UE sur leur adhésion à l’union régionale.
« La question pour nous n’est pas de savoir si nous devons nous développer ou non, mais comment nous y prendre. » (Le président français Emmanuel Macron s’exprimant lors du Forum Globsec à Bratislava, en Slovaquie, le 31 mai) |
Le doute pour avancer
Cependant, un certain scepticisme subsiste quant à ce changement. « C’est tout simplement un ‘déjeuner gratuit’ pour M. Macron de soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN », a affirmé un diplomate européen. Selon cette personne, la France sait que les États-Unis « ralentiront » ce processus lorsque les choses iront trop loin. Paris est donc prêt à montrer son soutien à l'entrée de Kiev dans l'OTAN pour renforcer son rôle dans un contexte de montée du sentiment anti-Moscou.
Les intérêts stratégiques de Macron en Europe centrale et orientale sont également clairs : le politicien veut améliorer son image dans les deux régions après un dialogue infructueux avec son homologue russe Vladimir Poutine au début du conflit.
La position de la France à l’égard de l’OTAN a également des implications : un message fort adressé à Moscou renforcerait la position de Kiev dans les négociations futures.
Il existe cependant de nombreuses raisons de croire que le double changement observé en France reflète une réévaluation géopolitique. M. Macron, l’un des plus ardents défenseurs de l’Europe, est depuis longtemps particulièrement préoccupé par la « souveraineté européenne » : la capacité du continent à façonner son avenir dans un contexte de concurrence féroce entre les grandes puissances.
Cette inquiétude est encore renforcée par l’impact de la Russie, ainsi que par celui d’un Etat américain dirigé par Donald Trump s’il remporte suffisamment de voix lors de l’élection présidentielle américaine de l’année prochaine.
Dans ce contexte, un responsable a commenté que selon la France, l’Europe « ne peut plus accepter la ‘zone grise’ entre l’UE et la Russie ». Les pays situés à la périphérie du continent doivent devenir membres de l’UE ou de l’OTAN pour éviter d’être vulnérables.
Mais cette vision française deviendra-t-elle réalité ?
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