Les 25 années qui ont suivi la première édition en 1984 de l’ouvrage “Les ethnies minoritaires du Vietnam” par la Maison d’édition en Langues Étrangères - devenue depuis la Maison d’édition du Monde (Thế Giới) -, correspondent à la transition de la société vietnamienne vers l’ouverture et l’intégration au monde.
Et les hameaux et villages des deltas, des moyennes régions jusqu’aux endroits montagneux les plus reculés et peuplés par les ethnies minoritaires ne se sont trouvés nullement épargnés par cette transformation qui a exercé ses impacts à la fois positifs et négatifs sur la vie des ethnies et ce à plusieurs égards. En effet, à partir du moment où les derniers obstacles au libre développement économique ont été levés, la production est devenue de plus en plus marchande. La production agricole n’est pas en reste : toutes les ressources, qu’il s’agisse des forêts, des rizières, des rivières, des ruisseaux ou des lacs et marais sont mises en exploitation, et les rizières et terrains de culture plus particulièrement, plus que jamais, se raréfient, ce qui a contraint les paysans à repenser leurs manières de travail vis-à-vis de leurs rizières dont la superficie ne fait que rétrécir.
Les techniques culturales traditionnelles comme la culture extensive ou la culture nomade ont reculé pour céder la place aux nouvelles modalités appuyées sur les progrès scientifico-techniques. Il s’agit de cultures fixes avec plusieurs variations : cultures spécialisées ; cultures intensives, etc, qui permettent d’obtenir un meilleur rendement et de répondre donc aux nouveaux besoins en matière de consommation.
Les paysans ont su également adapter leurs terres culturales aux nouvelles exigences en matière de rendement : les rizières inondées s’élargissent dans les vallées et les rizières en terrasse couvrent les flancs de montagnes ou de collines, à côté des brulis et essarts.
La nouvelle répartition des ressources servant à la production a entraîné la nouvelle répartition des populations. Par conséquent, les “territoires” liés aux tribus ou aux groupes ethniques ont progressivement reculé pour s’effacer progressivement face à l’implantation de nouvelles formes de résidence marquées par une alternance croissante entre les ethnies dites “indigènes” avec celles à proximité ou entre l’ethnie Kinh et les autres ethnies locales. Les hameaux ou communautés où habite une seule ethnie se raréfient. Un processus d’échanges et d’intégration culturelle est désormais devenu courant.
Ces courants de changement sont tels qu’ils modifient non seulement les structures des hameaux et communautés ethniques, mais pénètrent aussi chaque cellule familiale. Les familles traditionnelles dans lesquelles cohabitent plusieurs générations, comme par exemple chez les Sêñaêng, EÂñeâ, M’nông, Coâhoâ, Stieâng du Tây Nguyên, qui habitent des maisons longues baptisées “nhà dài”, ont subi un processus de désintégration progressive, faisant place aux modèles de toit familial plus modestes et plus adaptés aux nouvelles exigences de développement économique. Il s’agit de foyers composés d’un seul couple mari – femme, et ce sans distinction entre communauté à tradition patrilinéaire ou matrilinéaire.
Durant cette première décennie du XXIe siècle, l’État promulgue d’importantes politiques prioritaires en faveur du développement socioéconomique et culturel des régions montagneuses et des zones peuplées d’ethnies minoritaires. On peut citer comme exemple les Programmes 135, 134 et de nombreux autres programmes d’objectifs nationaux destinés à accélérer la production, éradiquer la faim, réduire la pauvreté, améliorer le niveau d’instruction des habitants etc. Les premiers fruits ont été très visibles, aidant à donner de nouveaux profils à la campagne et aux zones montagneuses du pays tout entier.
Concrètement, les réseaux routiers ont été à la fois restaurés, renforcés et élargis. Actuellement, presque toutes les communes sont reliées par des routes. Les réseaux d’électricité nationaux couvrent jusqu’à chaque hameau et village pour servir à la production et aux besoins de première nécessité des habitants. Partout, de plus en plus d’établissements scolaires et d’hôpitaux apparaissent, et de plus en plus de canaux d’irrigation sont creusés et renforcés pour assurer le développement rural durable.
Malgré ces bienfaits, les revers du processus du développement économique sont non négligeables. Les métiers d’artisanat traditionnels, par exemple, l’une des composantes importantes de l’économique autarcique des hameaux et qui ont existé pendant des centaines d’années, risquent de disparaître face aux afflux des marchandises en provenance des zones industrielles. Les populations des zones montagneuses, elles aussi, sont de plus en plus demandeuses de marchandises.
Par ailleurs, chez certaines ethnies comme les Hmông, les Tày, les Nùng, les émigrations libres et spontanées sont devenues un phénomène complexe depuis quelques dizaines d’années. Les besoins en terres culturales constituent la principale raison qui incite à ce processus. Si les Hmông se dirigent vers le Nord – Ouest, les Tày et Nùng, eux, émigrent plutôt vers le Sud, essentiellement vers les deux provinces Đắc Lắc et Lâm Đồng. L’éparpillement et la fragmentation des populations accompagne donc l’ouverture et l’intégration culturelle croissante.
Les échanges culturels croissants entre les ethnies, donc ceux avec l’ethnie Viet, et vis-à-vis desquelles les mass médias jouent leur rôle de sensibilisation actif présentent un côté très positifs, car ils ont permis de déraciner des mœurs dépassées. C’est le cas, par exemple :
- des mariages précoces chez plusieurs ethnies ; des mœurs de l’enlèvement des filles chez les Hmông ; de la conservation durant plusieurs jours des dépouilles mortelles avant leur enterrement chez plusieurs ethnies ; des accouchements assis dans plusieurs localités ou l’utilisation d’un couteau en bambou pour couper le cordon ombilical d’un nouveau-né ; des pratiques superstitieuses dans des zones montagneuses du Nord conduisant aux exécutions à mort de jeunes filles suspectées d’être habitées par des fantômes par exemple...
- de la chasse de têtes pour les rites de sacrifices demandant les bonnes récoltes chez les K’tu ; des mariages pour les veufs ou veuves au moment même du deuil de leurs maris ou femmes chez les Ede ; ou de certaines pratiques superstitieuses au Tây Nguyên causant des massacres cruels d’hommes ou de leurs proches suspectés d’être animés par des fantômes (À noter que cette pratique superstitieuse n’a été éliminée qu’à la dernière décennie du siècle passé !)
- des exigences de cadeaux de mariage trop élevées chez plusieurs ethnies, comme chez les Xtiêng ou chez les Bule de Bình Phước (une tradition qui a réduit de nombreux jeunes hommes pauvres en serviteurs “kol dek” pour la famille de leurs financées !)
- du “col” qui a lieu après un mariage chez les Bru – Vân Kiều et qui demande à un nouveau couple de faire don d’un buffle ou d’un bœuf pour un rite de sacrifice (de nombreux couples ont été endettés à vie pour ne pas avoir pu procéder à ce rite). Les enfants sont aussi obligés de procéder au rite “khoi” pour leurs parents ou grands-parents.
- des mœurs chez les Bru – Vân Kiều qui consistent à faire d’une femme mariée un bien d’héritage d’une famille. Si son mari vient à décéder, une femme est obligée de se marier avec le grand frère ou le petit frère de son mari, voire avec un enfant de ce dernier ou avec son beau-père.
Voici des mœurs dépassées qui ont connu leur disparition l’une après l’autre sous les fortes influences des échanges culturels et des progrès sociaux. Mais malheureusement, plusieurs beaux traits et belles valeurs traditionnels ont subi un sort déplorable à cause de l’invasion de nouveaux “courants” culturels. Notre chance est de voir encore de part et d’autre sur notre territoire une partie de ces valeurs survivre pour devenir un patrimoine commun à une région ou au pays entier. C’est le cas par exemple des temples Chăm le long du Centre et du Centre méridional qui sont en cours de restauration ; du site des temples de Mỹ Sơn de Quảng Nam qui a été reconnu “patrimoine culturel mondial”, ou des gongs du Tây Nguyên qui ont tout dernièrement été reconnus par l’Unesco patrimoine culture immatériel mondial.
En outre, ces deux dernières décennies ont témoigné également des soucis et investissements croissants pour les travaux d’étude sur les lettres et les arts folkloriques des ethnies minoritaires. Une quantité non négligeable de traditions, de patrimoine d’épopées ou de légendes ont été identifiés, recensés, collectés, traduits pour leur préservation et leur présentation au grand public. Les mêmes travaux ont été réalisés concernant les patrimoines musicaux, qu’il s’agisse d’instruments musicaux de toutes tailles des ethnies minoritaires, ou de leurs chants, airs ou danses folkloriques. La préservation de ces trésors culturels est encore accompagnée d’efforts en vue de les faire revivre parmi les communautés à travers les festivités culturelles locales.
Outres les efforts déployés par l’État, les individus et organisations sociales sont aussi encouragés à prendre part activement aux diverses actions de collecte et de préservation des biens culturels. Il s’agit par exemples de divers types de maisons traditionnelles, des édifices religieux comme des pagodes des Kh’mers, des temples des Chăm, des colonnes de sacrifice à Trường Sơn – Tây Nguyên, des costumes traditionnels des ethnies et des motifs de décoration d’une variété étonnante, de la sculpture sur bois, sur pierre, de l’art de la céramique, de la vannerie etc.
Il est donc vrai qu’au cours des ces 25 dernières années, les communautés des ethnies minoritaires vietnamiennes ont traversé d’importants changements qui ont influencé nombre de domaines socioéconomiques et culturels. Mais il faut affirmer que ces changements n’ont pas pu faire disparaître les identités culturelles chères à chaque ethnie, ni modifier le tableau panoramique que constituent les ethnies minoritaires vietnamiennes.
Nous tenons à cette occasion à exprimer notre regret de ne pas avoir pu obtenir à ce jour les statistiques les plus récentes sur les répartitions démographiques en fonction des communautés ethniques, car il nous faut attendre la publication du résultat de la dernière enquête nationale effectuée cette année sur la démographie et les habitats. Lors de cette réédition de l’ouvrage “Les ethnies minoritaires du Vietnam”, nous nous servons donc toujours des données de la précédente enquête de 1999. Mais nous avons pu en revanche introduire des mises à jour concernant les unités administratives étatiques.
Nous tenons également à remercier tous nos lecteurs pour l’intérêt qu’ils portent à cet ouvrage, mais également pour leur gentillesse de bien vouloir nous signaler les erreurs que nous aurions commises, en vue d’apporter de nouvelles perfections à ce livre !
Ngôn ngữ: tiếng Pháp
Khổ sách: 14,5 x 20,5cm
Số trang: 310 trang