Mme Tran To Nga et ses avocats lors d'une conférence de presse le 25 avril pour préparer l'audience du 7 mai à Paris pour les victimes de l'agent orange. (Source : VNA) |
Mme Tran To Nga, une Vietnamienne de 83 ans en France, vit les jours les plus significatifs de sa vie, même si elle porte encore la douleur et les blessures des conséquences de la guerre du Vietnam. La grande importance d’un voyage de plus de 10 ans en quête de justice et d’équité pour les victimes de l’agent orange.
« Combattez pour le serment, jusqu'à aujourd'hui et les jours qui restent »
Qu’est-ce qui vous a motivé à demander justice pour les victimes de l’agent orange, sachant que ce serait un parcours difficile et que la victoire était incertaine ?
J’ai déposé plainte à l’âge de 70 ans et j’ai souffert de nombreuses maladies causées par les effets nocifs de l’agent orange. J’ai été déterminé à poursuivre le procès pendant plus de dix ans parce que j’ai constaté qu’il y avait trop de victimes de la guerre et que les dommages causés étaient très graves et à long terme, tant pour les personnes que pour l’environnement. En 2013, lorsque j'ai entamé ma procédure devant le Tribunal de Première Instance d'Evry (banlieue parisienne), au Vietnam, il y avait à cette époque plus de 3 millions de victimes de l'Agent Orange. C’est ce numéro qui m’a brisé le cœur et m’a motivé à entreprendre ce procès. Après plus de 12 ans de poursuites judiciaires, je constate que ce chiffre ne s'arrête pas là, mais atteint plus de 4 millions de victimes et les conséquences de l'Agent Orange se transmettent à la 4ème génération.
Cette bataille juridique ne vise pas seulement à lutter contre l’utilisation de l’Agent Orange et à exiger justice pour les victimes de l’Agent Orange, mais aussi à contribuer à créer une base pour d’autres luttes pour l’environnement. Ce n’est pas seulement mon souhait, mais aussi celui de nombreuses personnes et organisations qui me soutiennent dans mon parcours pour protéger la justice et soutenir les victimes de l’agent orange.
J'ai toujours la détermination de poursuivre l'affaire car je crois que c'est un combat juste et noble. Pour la justice et le bonheur de l'humanité, c'était aussi le serment que j'ai fait quand j'étais jeune et je garderai ce serment jusqu'à aujourd'hui et le reste de mes jours. Je me bats non seulement pour moi-même mais pour toutes les victimes de l’agent orange au Vietnam et dans d’autres pays. Lorsque vous vous battez pour ce qui est juste, vous aurez la force de continuer le combat. C'est ce qui me donne de la force et qui me permet également de ne pas abandonner à mi-chemin. Alors j'irai jusqu'au bout.
« J'ai toujours été déterminé à poursuivre cette action en justice, car je crois qu'il s'agit d'un combat juste et noble. Pour la justice et le bonheur de l'humanité, c'est aussi le serment que j'ai fait dans ma jeunesse et je le tiendrai jusqu'à aujourd'hui et pour les jours qui me restent. » |
L'audience d'appel a été ouverte un jour qui coïncidait par coïncidence avec le 70e anniversaire de la victoire de Dien Bien Phu. J'espère devenir « Soldat de Dien Bien 2024 » dans l'épreuve historique de ma vie.
Quels sont, selon vous, les arguments les plus importants qui constituent la base de cette affaire ?
Je poursuis en justice les sociétés chimiques américaines qui ont produit et fourni des défoliants/herbicides - contenant de la dioxine, également connue sous le nom d'Agent Orange - utilisés par l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam, causant de graves conséquences sur la santé de moi, de mes enfants et de millions d'autres.
Je suis moi-même victime de la dioxine/agent orange à laquelle j'ai été exposé lorsque les avions militaires américains l'ont pulvérisé pendant la guerre du Sud-Vietnam. Les résultats des tests effectués par un laboratoire spécialisé en Allemagne ont confirmé la présence de dioxine dans mon corps, ce qui m'a fait souffrir de nombreuses maladies, dont 5 des 17 maladies reconnues par les États-Unis et répertoriées dans la liste des maladies causées par l'agent orange.
Le monde sait que des millions de personnes sont victimes de l'Agent Orange et que l'environnement est également gravement affecté, ce qui est également prouvé par des preuves scientifiques selon lesquelles l'Agent Orange a détruit des plantes, pollué les sols et empoisonné des animaux, provoqué des cancers et des malformations chez l'homme ainsi qu'attaqué le système immunitaire humain.
Conformément à la loi française depuis 2013, qui reconnaît aux tribunaux français le droit de connaître des actions en justice des citoyens français ayant subi des dommages causés par des personnes physiques et morales étrangères, moi, victime française de l'Agent Orange résidant à Paris, j'ai le droit de poursuivre et de faire juger par le tribunal la responsabilité des sociétés chimiques américaines susmentionnées qui m'ont causé des dommages.
Il convient de noter que les sociétés chimiques américaines qui ont produit l'Agent Orange doivent être tenues responsables de leurs propres actions dans la production et la vente de l'Agent Orange à l'armée américaine, qui ont causé du tort à moi et à d'autres victimes de l'Agent Orange, car les actions de ces sociétés chimiques n'étaient pas des actes au nom et au nom de l'État américain.
En fait, ces entreprises chimiques n’ont pas été forcées par le gouvernement américain à produire des produits chimiques toxiques destinés à l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, mais étaient totalement libres de participer aux appels d’offres pour produire à des fins lucratives. Dans le même temps, ces sociétés chimiques savaient à l’avance que la dioxine était une substance hautement toxique, mais ont néanmoins intentionnellement modifié le processus technique de synthèse des deux herbicides 2,4-D et 2,4,5-T pour raccourcir le temps de production de l’Agent Orange, réduire les coûts et augmenter les profits, augmentant ainsi la teneur en dioxine déjà présente dans l’Agent Orange.
Cet argument important a également été clairement énoncé dans le communiqué de presse de mes avocats et mentionné dans la déclaration du 12 mai 2021 de l'Association Vietnamienne des Victimes de l'Agent Orange/Dioxine (VAVA) concernant la décision du Tribunal d'Evry (en banlieue parisienne, France) de ne pas accepter mon action en justice contre les sociétés chimiques américaines susmentionnées.
Mme Tran To Nga à son bureau chez elle dans la banlieue parisienne, en France. (Source : VNA) |
« Un procès historique, ouvrant la voie à une modification du verdict du tribunal d'Évry »
En octobre 2023, la Chambre des représentants belge a adopté une résolution visant à soutenir les victimes vietnamiennes de l’agent orange, une résolution initiée grâce à ses efforts. Selon vous, quelle est l’importance d’une telle résolution dans la lutte pour les droits des victimes de l’agent orange ?
Comme l'a déclaré la présidente de la Chambre des députés belge, Mme Éliane Tillieux, le 7 novembre 2023, la résolution de soutien aux victimes de l'agent orange au Vietnam a reçu l'approbation à 100 % de tous les partis politiques belges, démontrant une réelle préoccupation pour les victimes de l'agent orange au Vietnam et dans le monde ainsi que pour les énormes risques pour l'environnement causés par ce produit chimique toxique. Il s’agit d’un témoignage de la solidarité du Parlement belge envers les victimes de l’agent orange/dioxine au Vietnam ainsi que de ses objectifs de durabilité, puisque le Parlement belge a été le premier au monde à exiger que l’utilisation d’écocides soit considérée comme un crime contre l’humanité.
La résolution constitue non seulement une base pour la Belgique afin de promouvoir la mise en œuvre de programmes de soutien aux victimes de l'Agent Orange au Vietnam, mais contribuera également à sensibiliser le public à la question de l'Agent Orange et à appeler d'autres parlements et la communauté internationale à accroître le soutien aux victimes de l'Agent Orange au Vietnam et dans d'autres pays, ainsi que le soutien pour surmonter les conséquences de l'Agent Orange sur l'environnement dans certains endroits au Vietnam et dans d'autres pays.
Cette résolution est également d’une grande importance pour consolider et élargir le soutien à la lutte juridique du procès pour la justice et les droits des victimes de l’Agent Orange. C’est pourquoi la résolution me donne plus de force dans la lutte pour la justice en faveur des victimes de l’agent orange. D'autre part, je crois que cette résolution du Parlement belge contribue à encourager d'autres Parlements à prendre des mesures similaires, le Sénat français s'apprêtant également à tenir une réunion pour discuter de cette question. J'espère que si l'Assemblée nationale française fait la même chose que l'Assemblée nationale belge, 2024 sera une victoire dans la lutte des victimes de l'agent orange/dioxine.
Qu’attendez-vous le plus avec impatience lors de l’audience du 7 mai devant la Cour d’appel de Paris ?
Après que le tribunal d'Evry a jugé qu'il n'était pas compétent pour connaître de l'affaire concernant les actions du gouvernement américain en temps de guerre, j'ai déposé un recours auprès de la cour d'appel de Paris. Je ne suis pas seul dans cette bataille juridique mais je continue de recevoir le soutien d'avocats et d'associations dans des pays comme la France et le Vietnam, qui soutiennent les victimes vietnamiennes de l'Agent Orange.
J'espère vivement que, lors de l'audience qui se tiendra à la Cour d'appel de Paris le mardi 7 mai, la Cour d'appel examinera pleinement les facteurs pertinents, notamment les facteurs juridiques concernant la nature des actions et des responsabilités des sociétés chimiques américaines que j'ai mentionnées ci-dessus, et prendra une décision de rejet du jugement déraisonnable du Tribunal de première instance d'Evry.
Cela signifie que la Cour d'appel a reconnu que j'ai exercé mon droit légal, c'est-à-dire qu'un tribunal français entende mon procès contre les sociétés chimiques américaines qui ont produit et fourni l'Agent Orange à l'armée américaine pour qu'elle l'utilise pendant la guerre du Vietnam, ce qui a entraîné de graves conséquences pour moi et d'autres victimes de l'Agent Orange. Cela montre que la Cour d’appel protège la justice non seulement pour moi, mais aussi pour des millions de victimes de l’agent orange au Vietnam et dans le monde entier.
S'exprimant lors d'une conférence de presse tenue en présentiel et en ligne le 25 avril au siège de l'Association vietnamienne en France à Paris, mon avocat, William Bourdon, a souligné que le plus grand défi du procès à venir est de rejeter « l'immunité » sur laquelle s'appuient les entreprises américaines et que le tribunal d'Evry a acceptée.
« Nous croyons en la justice, nous disposons de preuves suffisantes et espérons que la Cour d'appel prendra en compte tous les facteurs et preuves et prendra la bonne décision, pour la justice des victimes de l'agent orange. » |
Il a également souligné qu'il s'agissait d'une excuse totalement infondée : « De nombreux arguments juridiques démontrent que les entreprises américaines n'ont pas été contraintes par le gouvernement américain, mais qu'elles ont volontairement répondu à l'appel d'offres et qu'elles ont elles-mêmes activement produit l'agent orange mortel contenant une grande quantité de dioxine, qui est également au cœur de cette action en justice. Nous disposons de suffisamment de documents pour étayer nos arguments et nous croyons à l'issue de ce procès. Ce sera un procès historique, ouvrant la voie à une modification de la décision du tribunal d'Évry. »
Au cours de ce voyage, j’ai constaté qu’il y avait de nombreux défis majeurs à surmonter, tant sur le plan juridique qu’autre. Comme indiqué dans sa déclaration lors de la conférence de presse susmentionnée, l'avocat Bertrand Repolt a déclaré qu'un autre défi majeur est que l'incident dure depuis si longtemps, mais ce n'est que maintenant qu'il est possible de juger la responsabilité des entreprises chimiques américaines pour les actions qu'elles ont entreprises, principalement à partir des années 1960 et 1970 du siècle dernier.
Cela entraîne des difficultés dans la collecte et la présentation de preuves pour prouver qu’à l’époque, ces entreprises étaient conscientes des dangers liés à l’utilisation de ces produits chimiques toxiques, du processus à la méthode de production de l’Agent Orange…
Nous croyons en la justice, disposons de preuves suffisantes et espérons que la Cour d’appel prendra en compte tous les facteurs et preuves et prendra la bonne décision, pour la justice des victimes de l’agent orange.
Mme Tran To Nga et l'écrivain André Bouny (en fauteuil roulant) ainsi que de nombreux sympathisants étaient présents au tribunal d'Evry (banlieue parisienne) en janvier 2021, malgré la pandémie. (Source : Collectif Vietnam-Dioxine Association) |
"Le ciel, la terre et le destin m'ont donné une mission, j'irai jusqu'au bout !"
Qu’attendez-vous du soutien du gouvernement vietnamien, des organisations et des particuliers dans les temps à venir pour ce procès historique ?
J'ai entamé la bataille juridique seule, en tant que seule plaignante dans l'affaire devant le tribunal français, alors que je n'avais au départ aucune idée que l'affaire pouvait durer des années et être extrêmement ardue. J’ai aussi souffert de beaucoup de cruels malentendus.
Tout d’abord, j’ai bénéficié de l’aide complète de trois avocats français sans avoir à payer de frais juridiques. En outre, j’ai reçu un large soutien de la part du peuple et des organisations du Vietnam et de la communauté internationale, ainsi que de nombreuses organisations sociales et de particuliers, y compris des parlementaires de nombreux pays du monde.
Cela m’a donné plus de détermination et de force pour poursuivre les 12 dernières années d’une bataille juridique difficile et prolongée sans fin en vue. Cependant, je partage aussi le fait qu'en termes de finances, j'ai encore beaucoup de difficultés et de manque de fonds, car je dois encore payer d'autres frais pour le procès comme les frais d'avocat, les frais de traduction pour les interprètes assermentés (pour être qualifié pour comparaître devant le tribunal), les frais de déplacement d'un pays à l'autre pour échanger des expériences, collecter des documents... surtout aux États-Unis, ce qui nécessite une somme d'argent importante, très importante.
Les associations et les particuliers français qui aiment et protègent la justice en France se sont organisés de multiples façons pour soutenir les frais d'un procès qui est non seulement inégal mais qui va continuer à s'éterniser sans fin en vue, même si la vérité sur les conséquences de la destruction humaine et de la destruction de l'environnement a été reconnue par toutes les organisations sociales mondiales, des États-Unis aux pays européens, avec des preuves scientifiques et des témoins indéniables.
Plus récemment, en préparation de l'audience d'appel, les forces soutenant le procès ont mené de nombreuses activités sociales en France, exprimant leur soutien et informant la société française et d'autres pays sur ce procès dit historique. Par exemple : l’organisation de repas pour récolter des fonds pour les frais de justice et les frais connexes, l’organisation d’une conférence de presse à Paris le 25 avril 2024 avec la participation de plus de 20 journalistes, et un grand rassemblement également à Paris qui se tiendra le 4 mai 2024 avant l’audience d’appel du 7 mai 2024.
Bien que je sois le seul plaignant dans ce procès, vivant loin de mon pays natal, loin de ma famille et souffrant toujours de nombreuses maladies dues aux conséquences de l'exposition à l'agent orange, j'espère que l'État, les organisations et le peuple vietnamiens suivront de près le parcours et les développements du procès, continueront à défendre la justice du procès et à lui apporter leur soutien sous diverses formes. C’est cet encouragement et ce soutien inestimables qui m’aident à poursuivre le difficile parcours de cette bataille juridique, pour le bien des millions de victimes de l’agent orange au Vietnam et dans d’autres pays.
Vivre seul dans un pays étranger à 83 ans n'est pas amusant sans un objectif de vivre utile à la vie et aux gens. La justice et le bonheur humain sont des objectifs nobles que je poursuis, que je poursuis et que je continuerai à poursuivre. Le ciel, la terre et le destin m'ont donné une mission, j'irai jusqu'au bout !
Merci beaucoup!
Mme Tran To Nga, née en 1942 dans la province de Soc Trang, était journaliste pour l'Agence de presse de libération du Sud-Vietnam et a été exposée à l'agent orange/dioxine pendant la guerre. Au début des années 1990, Mme Nga s’installe en France. Selon les résultats de l’examen médical, la concentration de dioxine dans son sang était supérieure à la norme prescrite, ce qui a entraîné de graves conséquences sur la santé. En 2013, Mme Tran To Nga a déposé une plainte au tribunal d'Evry (ville où elle réside, en banlieue parisienne), poursuivant les entreprises chimiques américaines qui ont produit l'agent orange/dioxine utilisé par l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Elle fait partie des rares cas pouvant engager des poursuites liées à l'agent orange car elle remplit trois conditions : Être de nationalité française (d'origine vietnamienne) ; résident en France, où il existe une loi permettant d'engager des poursuites internationales pour la défense des citoyens français contre des personnes morales d'un autre pays ayant commis des crimes à l'étranger causant des dommages à des citoyens français ; et est lui-même victime de l'agent orange/dioxine. Elle est soutenue et accompagnée par un certain nombre d'avocats et de militants sociaux français qui travaillent ensemble pour les victimes vietnamiennes de l'agent orange. Le 10 mai 2021, après l'audience, le tribunal d'Évry en France a statué en faveur de la défense des sociétés défenderesses selon laquelle elles « ont agi sur ordre et pour l'État des États-Unis » et ont donc bénéficié d'une « immunité », car aucun État souverain ne doit accepter la juridiction et le jugement d'un autre État souverain sur ses actions (c'est-à-dire invoquer le principe de l'immunité juridictionnelle nationale en vertu du droit international). Les avocats représentant Mme Tran To Nga ont contesté cette décision du tribunal d'Evry et ont souligné que ces sociétés ont « soumissionné », c'est-à-dire qu'elles n'ont pas agi sous la contrainte ; La Cour d’Evry a appliqué un principe dépassé (le principe de l’immunité juridictionnelle nationale), « contraire aux principes modernes du droit international » et du droit français. En juin 2021, Mme Tran To Nga a déposé un recours devant la Cour d’appel de Paris (France). Le 7 mai 2024 se tiendra l'audience des plaidoiries à la Cour d'appel de Paris. |
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